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6 avril 2006

La galère des apprentis médecins

 

La galère des apprentis médecins
LE MONDE | 06.04.06

© Le Monde.fr

(Ca parle de nous dans Le Monde, pauvres P1 lillois... Courez-vite lire, c'est intéressant, et pour tout le monde !!)

Ils s'en souviennent tous. C'était en septembre 2005. Bac en poche, ils débutaient leur première année de médecine, à la faculté Henri-Warembourg de Lille. Pour espérer avoir une place dans l'amphithéâtre, ils débarquaient à 6 heures et demie du matin devant les portes, puis se ruaient, dès l'ouverture des grilles, à l'intérieur. "Tout le monde courait, c'était n'importe quoi", racontent Nora et Hakim. Les cours s'enchaînaient de 8 heures à 18 heures, perturbés par le chahut des redoublants, histoire de démoraliser les "primants" et d'afficher la concurrence. Chansons paillardes, blagues scatologiques, cris, boulettes de papier, une entrée en matière pour tester la résistance des nouveaux. Quelques-uns ont craqué et ne sont jamais revenus. "Ce que je crains toujours le plus, ce sont les problèmes de sécurité liés aux mouvements de foule", explique Jean-Bernard Savary, responsable pédagogique du premier cycle.


Comme toutes les facultés de médecine, celle de Lille explose. L'aura de la blouse blanche fascine encore. Cette année, en France, 42 000 étudiants sont candidats au concours de première année de médecine, 12 % de plus qu'en 2005. Numerus clausus oblige, seuls les 7 000 premiers seront reçus - 1 sur 6...

Dans ces facultés, l'heure n'est pas à la contestation contre le contrat première embauche (CPE). Les élèves n'ont qu'une obsession : réussir le concours. Ceux qui le décrocheront auront un avenir professionnel assuré. Avec ses 2 357 étudiants inscrits en première année (un tiers de plus que l'année précédente), la fac de Lille a atteint son "record absolu", constate avec fatalisme le doyen Jean-Paul Francke. 2 357 inscrits (dont 700 redoublants) pour environ 390 places en médecine, 80 en odontologie et 44 en écoles de sages-femmes : la sélection est de plus en plus rude. Pour gérer cet afflux dans des locaux conçus pour 1 200 étudiants, les effectifs ont été divisés en deux groupes : chaque cours magistral est diffusé simultanément sur grand écran dans quatre amphis. La direction envisage même d'ouvrir des centres de retransmission dans d'autres villes de la région.

Les étudiants viennent de Lille, Valenciennes (Nord), Calais ou Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais). Ce sont tous de bons élèves : la quasi-totalité ont décroché un bac scientifique (S), beaucoup avec mention. Leur point de chute après les cours n'est pas la cafétéria, mais la bibliothèque ou les salles de travail. Le surligneur à la main, ils révisent inlassablement leurs cours d'anatomie, de biophysique, de biologie moléculaire, de chimie, d'embryologie, de sciences humaines et sociales... Un programme titanesque débité sans répit par les professeurs, dont certains n'acceptent pas de faire de polycopiés. Alors, sur les tableaux d'affichage, les petites annonces de vente de cours sont légion. Un élève de deuxième année propose à "20 euros un poly de biochimie en couleurs et relié : vous trouverez peut-être ce prix excessif, mais la réussite n'a pas de prix".

"On m'avait dit que c'était dur, cette première année, mais il faut la vivre pour comprendre", témoigne Lucie, une redoublante malgré son 10,5 de moyenne l'année dernière. Elle fait partie de ces nombreux "reçus-collés" qui s'ajoutent aux milliers de recalés. Un "gâchis humain", ne cessent de répéter les responsables universitaires.

Depuis plusieurs années, les ministères de la santé et de l'éducation nationale tentent, en vain, de réformer le premier cycle des études médicales. En 2005 à Lille, "le dernier reçu avait 12 de moyenne", indique M. Savary. "Les reçus-collés se sentent complètement frustrés et les parents ne comprennent pas que 10 sur 20 ne soit pas suffisant", constate Bernard Sablonnière, professeur de biochimie.

Eloïse a été recalée avec 11,7. "C'était rageant", lâche-t-elle. Depuis qu'elle est "toute petite", Eloïse veut "faire médecine". Ils sont nombreux à parler de "vocation", de métier "utile", d'envie "d'être dans l'humain", d'"aider les autres", mais aussi de "statut", de "prestige", d'"emploi garanti" et de "bons revenus".

Tous les jours de la semaine, Lucie fait la fermeture de la bibliothèque jusqu'à 23 heures pour éviter, chez elle, la tentation de la télévision ou de l'ordinateur. "On s'en veut de regarder la télé, car on sait que, pendant ce temps, d'autres travaillent", raconte-t-elle. Pour survivre au couperet de cette fameuse première année, deux choses comptent : la méthode et la capacité de travail. "C'est comme un marathon", compare Alexandre. Ne jamais lâcher, ne jamais prendre de retard, apprendre chaque soir les cours du jour.

"Il faut être comme une éponge", témoigne Marion, qui s'est donné, comme bien d'autres "primants", deux ans pour décrocher le sésame. "C'est du bourrage de crâne à longueur de journée, du par coeur, au mot et au chiffre près, il faut sans cesse revoir ses cours pour ne rien oublier", explique-t-elle. Car dans les QCM (questions à choix multiples) du concours, les pièges se cachent dans les moindres détails.

"Je n'ai pas de vie à côté", résume Pauline. Tous parlent d'une année de "sacrifice", qui mène soit à une immense déception, un douloureux sentiment de temps perdu, soit à un immense soulagement. "C'est quoi un ou deux ans de galère quand après la route est tracée et que l'on pourra pendant quarante ans faire ce métier", se rassure Hakim. Il s'est inscrit en médecine "un peu par défi. Mon entourage me décourageait, mais je préfère tenter plutôt que d'avoir des regrets".Des séances de tutorat assurées par des élèves de deuxième ou troisième année permettent, à ceux qui le souhaitent, d'être soutenus "psychologiquement" et d'obtenir des tuyaux pour organiser leur travail. Pour "tenir", il faut un bon moral, éviter le stress et s'obliger à une certaine hygiène de vie. Impossible d'avoir un boulot à côté. Pour gérer sa "nervosité" et éviter "la dépression", Lucie alterne vitamines la journée et gélules de plantes pour dormir. "Avant les examens de janvier, j'étais quasiment en pleurs. Heureusement que mes parents m'ont soutenue, raconte-t-elle. C'est dur. Psychologiquement, on n'en sort pas indemne", ne cache pas Alexandre, pour qui ce système "pousse les gens à se sentir supérieurs. Certains qui ont eu le concours du premier coup prennent la grosse tête, ça casse des amitiés".

Violette Mesdag, désormais en troisième année et responsable de la Corpo, l'association des étudiants en médecine de Lille, se souvient "des crises de nerfs pendant les révisions. Je bossais non stop. En deuxième année, c'est le grand relâchement. Il n'y a plus d'obligation, on sort, on s'amuse, on en a besoin."


Depuis quelques semaines, les étudiants ont une idée de leur niveau : les résultats des partiels de janvier sont tombés. Pour la direction, les jeux sont faits : "On connaît 90 % des étudiants qui seront reçus en juin." Les étudiants n'ont pas leur note, mais une lettre leur indique dans quelle moyenne ils se situent : du groupe A pour ceux qui ont entre 20 et 18 au groupe J entre 2 et 0. Cette année, 779 ont obtenu entre 16 et 10 de moyenne. Pour les autres, les chances de remonter la pente sont quasi nulles. "Les 726 étudiants qui ont entre 2 et 6 de moyenne sont des "touristes"", considère M. Savary.

Pour David, c'est fini. Redoublant, il se retrouve dans le groupe G (entre 6 et 8) à l'issue des partiels de janvier : "Ma famille est déçue, moi, je sais que je n'ai pas assez bossé, je vais aller en fac de biologie." Les responsables universitaires n'hésitent pas à le dire : "Il y a 500 étudiants qui ne devraient pas être là." Chaque année les résultats le confirment, seuls les meilleurs bacheliers scientifiques réussissent : 93 % des mentions très bien au bac sont reçues au concours au bout des deux premières années, 83 % des mentions bien, 52 % des mentions assez bien et seulement 11 % des sans mention.

L'année dernière, ceux qui ont obtenu moins de 5 de moyenne ont reçu une lettre leur déconseillant de se réinscrire. "Il y a une prédiction pour 80 % des étudiants en fonction de leurs résultats au bac, mais c'est politiquement incorrect de les sélectionner dès la sortie du lycée. Cela ne m'étonne pas qu'aujourd'hui encore les ministres soient contre", constate le doyen Jean-Paul Francke.

Le problème semble insoluble. Les étudiants n'ont qu'un mot à la bouche : l'équité. Au nom de ce principe, ils veulent préserver la possibilité de tenter sa chance à tout bachelier. Mais l'équité a du plomb dans l'aile. Le marché des cours privés a explosé en même temps que les effectifs. Les officines recrutent même aux arrêts de bus. Les étudiants qui en ont les moyens sont nombreux à recourir à ces formations parallèles très onéreuses (16 euros de l'heure) pour avoir un encadrement qu'ils n'ont pas à la fac, des cours résumés et expliqués et des examens blancs. Pompes à fric ? "Ces cours privés ne nous gênent pas, convient Xavier Marchandise, professeur de biophysique. Mais on se demande pourquoi en ont-ils tellement besoin ?"

Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 07.04.06
Journal Le Monde

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